Objets, réseaux, mémoire : la bague de deuil de Jeremy Bentham
Abstract
Il est exceptionnel de retrouver dans les archives elles-mêmes les objets qui accompagnaient les lettres car deux logiques de conservation et de préservation distinctes s’appliquent. Le plus souvent, lorsque la correspondance a été préservée dans des fonds publics ou privés, les objets eux-mêmes ont disparu : ils ont été employés pour l’usage auquel ils étaient destinés . Ici, les lettres de Bowring et de Bentham ont été rassemblées et conservées dans le fonds Jean-Baptiste Say déposée à la BNF tandis que la bague a été transmise d’abord sans doute au sein de la famille Say, puis vendue à une date inconnue. Achetée récemment par un collectionneur, elle a refait surface en 2018 à l’occasion de son passage en salle de vente et est aujourd’hui de nouveau en mains privées . Cet article fournit donc une rare occasion de réinsérer, fût-ce virtuellement, l’objet dans la lettre qui l’accompagnait. Il montre aussi, plus largement, comment la correspondance de Bentham et les pratiques épistolaires d’un philosophe peuvent être mobilisées à plusieurs niveaux pour comprendre la conception d’un objet de mémoire et sa diffusion. Ainsi, l’entreprise de contextualisation à laquelle nous invite l’histoire intellectuelle ne concerne pas uniquement les textes mais permet d’appréhender le rôle joué par les objets eux-mêmes dans les échanges savants, articulant ainsi histoire sociale et histoire des idées. Comme le montrera la dernière partie de cet article, dans le cas des anneaux funéraires de Bentham, la matérialité même de l’objet et ses modalités de circulation permettent de mieux comprendre comment réseaux personnels et intellectuels s’entrecroisent et nous renseigne également sur la conception-même de la postérité, voire de l’immortalité, chez un penseur pourtant athée et matérialiste.
Origin : Files produced by the author(s)